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Tout en regagnant l’Ovale, Reith méditait sur la cité de Settra et sur le curieux tempérament de ses habitants. Force lui était d’admettre que son idée de fabriquer un petit astronef, projet qui, dans la lointaine Pera, paraissait au moins faisable, semblait désormais irréalisable. Il avait espéré conquérir la reconnaissance et l’amitié du Seigneur Jade Bleu : il s’était heurté à son hostilité. En outre, les aptitudes techniques des Yao l’incitaient au pessimisme. Il se mit à prêter attention aux véhicules qui circulaient dans les rues. Ils avaient l’air de fonctionner de façon satisfaisante, mais donnaient cependant l’impression que les considérations d’ordre esthétique avaient eu le pas sur la notion d’efficacité dans l’esprit de leurs constructeurs. Ils empruntaient leur énergie aux cellules à usages multiples des Dirdir et leurs suspensions étaient bruyantes, preuve soit de l’insouciance, soit de l’incompétence des ingénieurs. Et il n’y en avait pas deux pareils : chacun paraissait être un modèle unique.

Il était à peu près certain que la technologie yao était insuffisante pour permettre à Reith de mener ses plans à bien. Faute de pièces standard, de circuits intégrés, de matrices structurales, d’analyseurs Fourier, de générateurs à macro-gauss et de mille autres accessoires – instruments, outils, calibres, jauges, sans même parler d’un personnel technique capable et diligent – la construction d’un astronef, si rudimentaire fût-il, serait un travail de Titan. Une vie entière n’y suffirait pas.

Reith arriva devant un parc circulaire planté de grands arbres à l’écorce noire et rugueuse, aux feuilles rousses et parcheminées. Au centre se dressait un monument massif : douze personnages masculins, chacun tenant un instrument ou un outil, faisaient une inquiétante farandole rituelle autour d’un personnage féminin debout, les bras levés, la figure tournée vers le ciel. La femme paraissait plongée dans une transe extatique, mais Reith était incapable de définir l’émotion qui l’habitait – joie triomphante ? Souffrance ? Chagrin ? Béatitude ? Toujours est-il que le groupe laissait une impression inconfortable et faisait palpiter quelque chose dans les profondeurs de l’esprit du Terrien. Comme un rat rongeant une poutre de l’intérieur… Le monument paraissait très ancien. Peut-être avait-il mille ans ? Une fillette et un gamin encore plus jeune, qui passaient par là, s’arrêtèrent. Ils commencèrent par observer Reith, puis s’abandonnèrent d’un air fasciné à la contemplation des statues étincelantes et de leurs macabres accessoires. Le Terrien, dont l’humeur s’était assombrie, poursuivit son chemin et ne tarda pas à rejoindre l’Hostellerie. Ni Traz ni l’Homme-Dirdir n’étaient là, mais ils avaient retenu un appartement de quatre pièces donnant sur l’Ovale.

Reith se baigna et mit du linge frais. Quand il descendit, le crépuscule était tombé, et tout autour de l’esplanade scintillaient de grandes sphères lumineuses aux tonalités pastel. Traz et Anacho apparurent de l’autre côté de la place et Reith les suivit des yeux avec un sourire mi-figue mi-raisin. Tous deux étaient aussi différents que chat et chien. Et pourtant, quand les circonstances les rapprochaient, ils se comportaient avec toutes les apparences d’une prudente camaraderie.

Anacho et Traz racontèrent à Reith qu’ils avaient découvert un endroit appelé le « mail » où les gentilshommes de Cath réglaient leurs affaires d’honneur. Au cours de l’après-midi, ils avaient assisté à trois passes d’armes. Le sang n’avait guère coulé, précisa Traz avec un reniflement dédaigneux, et Anacho ajouta :

— Le cérémonial épuise l’énergie des duellistes. Après les politesses et les simagrées d’usage, il ne reste plus beaucoup de temps pour le combat.

— En tout cas, les Yao sont plus pointilleux que les Hommes-Dirdir, dit Reith.

— Je ne suis absolument pas d’accord ! Tu n’en connais qu’un seul. Je pourrais t’en montrer mille et tu serais totalement dérouté. Mais venez. La salle à manger est de l’autre côté. Il y a en tout cas une chose à porter au crédit des Yao : leur cuisine n’est pas mauvaise.

Ils dînèrent dans une grande pièce aux murs tendus de tapisseries. Une fois de plus, Reith se trouva dans l’incapacité d’identifier les mets, et il n’avait d’ailleurs aucune envie de savoir au juste ce qu’il mangeait. On leur servit un potage jaunâtre qui avait un goût vaguement douceâtre et où flottaient des fragments d’écorce salée, des tranches d’une viande pâle enrobée de pétales, une sorte de céleri piqué de lamelles de condiments terriblement épicés, des galettes relevées de musc et de résine, des mûres noires qui sentaient le marais, le tout accompagné d’un vin transparent qui piquait la bouche.

Tous trois allèrent prendre un digestif dans une taverne voisine. Beaucoup de consommateurs étaient des non-Yao dont le cabaret était apparemment un lieu de rendez-vous. L’un d’eux, un grand vieillard coiffé d’un bonnet de cuir, et qui avait l’air très porté sur le vin, dévisagea Reith sous le nez.

— Eh bien, je me suis trompé, dit-il. Je t’avais d’abord pris pour un Vect de Holangar. Et puis, je me suis demandé : « Où sont ses pincettes ? » Alors, je me suis dit : « Non ! C’est encore un de ces Anomes qui vont à l’Hostellerie des Voyageurs, histoire d’y rencontrer des gens de leur race. »

— Rien ne me ferait plus plaisir que de rencontrer quelqu’un de ma propre race !

— Ah bon ? Ce n’est pas cela ? Mais qu’est-ce que tu es donc ? Je n’arrive pas à mettre un nom sur ta figure.

— Un voyageur qui vient d’un pays lointain.

— Pas si lointain que le mien, qui est situé tout là-bas, sur la côte de Vord, là où le Cap de la Terreur fait reculer l’océan Schanizade. C’est que j’en ai vu des choses ! Ça, je peux bien le dire ! Des raids sur Arkady, des batailles avec les peuples de la mer ! Une fois, je me rappelle, nous sommes allés dans les montagnes massacrer les bandits… J’étais un jeunot, en ce temps-là, et j’étais un grand guerrier. Maintenant, je peine pour le bien-être des Yao, ce qui me fait gagner mon propre bien-être. Et ce n’est pas une vie si pénible.

— Je l’imagine. Es-tu un technicien ?

— Je n’ai pas cette ambition. Je suis inspecteur des roues.

— Y a-t-il beaucoup de techniciens étrangers à Settra ?

— En effet. Le pays de Cath est assez confortable si l’on fait abstraction des lubies des Yao.

— Y a-t-il des Hommes-Wankh qui travaillent à Settra ?

— Eux ? Travailler ? Jamais ! J’ai séjourné à Ao Zalil, à l’est du lac Falas, et j’ai vu comment les choses se passaient. Jamais les Hommes-Wankh ne travaillent, même pour les Wankh. Ils se fatiguent suffisamment à émettre les harmoniques wankh, bien que, en général, ils s’accompagnent sur de remarquables petits instruments à eux.

— Qui travaille dans les ateliers Wankh ? Les Noirs et les Pourpres ?

— Bah ! Ils risqueraient d’avoir à manier un article que ceux de l’autre couleur ont touché. Ce sont principalement les Lokhars de l’arrière-pays qui travaillent dans les manufactures. Ils s’échinent pendant dix ou vingt ans, voire davantage, et retournent ensuite dans leurs villages ayant fait fortune. Des Hommes-Wankh employés dans les ateliers ? Quelle plaisanterie ! Ils sont aussi orgueilleux que les Hommes-Dirdir Immaculés ! Tu es accompagné d’un Homme-Dirdir, d’ailleurs, à ce que je vois !

— Oui, c’est mon ami.

— C’est singulier de trouver un Homme-Dirdir aussi simple, s’étonna le vieux. Jusqu’à présent, je n’en ai connu que trois, qui me traitèrent tous comme si j’étais de la boue. (Il vida son verre et le reposa sur la table avec un bruit sec.) Il faut que je m’en aille, à présent. Je vous souhaite la bonne nuit à tous, même à l’Homme-Dirdir.

Le vieil homme disparut. Presque en même temps entra un jeune homme au teint pâle et aux cheveux noirs, vêtu d’un discret costume bleu sombre en drap fin. Reith eut l’impression de l’avoir déjà vu quelque part. Et récemment… Mais où donc ? Le nouveau venu se dirigea lentement, presque avec distraction, vers le comptoir, où il se fit servir une coupe de sirop aigre. Quand il se retourna, son regard croisa celui de Reith ; il salua courtoisement ce dernier d’un coup de menton et, après avoir hésité un instant, s’approcha de lui.

Le Terrien le reconnut alors : c’était l’aide de camp de Cizante.

— Bonsoir ! fit le jeune homme blafard. Vous ne me reconnaissez peut-être pas. Je suis Helsse d’Izam et j’appartiens à la maison du Seigneur Jade Bleu. Nous nous sommes rencontrés aujourd’hui, ce me semble.

— J’ai effectivement eu un entretien avec votre maître.

Helsse but, eut une grimace blasée et reposa son gobelet.

— Je vous propose de nous rendre dans un endroit plus tranquille où nous serons mieux pour parler.

Reith dit quelques mots à Traz et à Anacho.

— Je vous suis, fit-il ensuite à l’adresse de l’aide de camp.

Helsse jeta un coup d’œil désinvolte du côté de l’entrée principale mais décida de sortir en passant par la salle du restaurant. Au moment où ils s’éloignaient. Reith eut le temps d’apercevoir quelqu’un qui entrait en coup de vent dans le cabaret et qui examinait la salle d’un regard furieux. C’était Dordolio.

Helsse n’eut pas l’air de le remarquer.

— Je connais un petit cabaret tout près d’ici. Il n’est peut-être pas suprêmement distingué mais cela fera l’affaire pour bavarder. Nous y serons aussi bien qu’ailleurs.

L’établissement, bas de plafond, était éclairé par des lampes rouges et bleues. La salle était entourée de stalles. Des musiciens étaient installés sur une estrade. Deux d’entre eux frappaient sur des gongs et des tambours, tandis qu’un danseur évoluait en se tortillant. Helsse choisit un box près de la porte, aussi loin que possible de l’orchestre. Reith et lui prirent place sur des coussins bleus. L’aide de camp commanda deux petits verres d’essence de bois sauvage, qui leur furent rapidement servis.

Le danseur s’éclipsa et les musiciens entamèrent un nouveau morceau qu’ils exécutèrent en se servant d’instruments rappelant respectivement un hautbois, une flûte, un violoncelle et une paire de petites timbales. Reith écouta quelques instants, surpris par les sonorités plaintives et grinçantes, les sourds cognements des timbales, les soudains trilles impatients de la flûte. Helsse se pencha vers lui avec sollicitude :

— Vous n’êtes pas familiarisé avec la musique yao ? C’est bien ce que je pensais. C’est là une de ses formes traditionnelles : une complainte.

— L’idée ne me serait pas venue que ce puisse être une chanson gaie !

— Question d’appréciation… (Il y eut une série d’accords dont l’optimisme allait decrescendo.) Ce n’est pas que j’insinue que les Yao soient des gens austères. Il suffit d’assister à la saison des bals pour s’en convaincre.

— Il y a peu de chances que je sois invité.

L’orchestre passa à un autre morceau – une succession de mouvements passionnés dont le thème était repris tour à tour par chacun des instrumentistes aux moments les plus imprévus et qui s’acheva sur un interminable et sauvage trémolo. Par association d’idées, Reith se remémora le monument du parc circulaire.

— Cette musique est-elle en rapport avec votre rituel expiatoire ?

Helsse sourit avec hauteur.

— J’ai entendu dire que l’esprit de la Communion Pathétique imprègne toute la psyché des Yao.

— Intéressant, murmura Reith.

Il attendit la suite : ce n’était pas pour discuter de musique qu’Helsse l’avait entraîné ici.

— J’espère que ce qui s’est passé cet après-midi ne vous a pas occasionné d’incommodités ? reprit le jeune homme.

— Absolument pas. Juste de l’irritation.

— Vous n’escomptiez pas toucher la récompense ?

— Je n’en avais pas entendu parler. Mais j’escomptais, il est vrai, être traité avec courtoisie. Avec le recul, l’accueil du Seigneur Cizante me semble bien singulier.

Helsse hocha le menton d’un air doctoral.

— C’est un homme singulier. Mais il se trouve en ce moment dans une situation délicate. Aussitôt après votre départ, le cavalier Dordolio s’est fait annoncer. Il vous a accusé d’être un resquilleur et a réclamé la récompense pour lui. Pour être franc, tout bien considéré, céder aux exigences de Dordolio mettrait le Seigneur Cizante dans l’embarras. Peut-être ignorez-vous que la Maison du Jade Bleu et la Maison Or et Cornaline sont rivales ? Le Seigneur Cizante soupçonne Dordolio de vouloir utiliser cette récompense pour humilier le clan du Jade Bleu, ce qui aurait des conséquences imprévisibles.

— Qu’est-ce qu’a promis Cizante, au juste ? demanda Reith.

— L’émotion a eu raison de sa prudence, répondit Helsse. Il a déclaré ceci : « Celui qui me rendra ma fille ou m’apportera au moins de ses nouvelles pourra demander ce qu’il voudra et je ferai de mon mieux pour exaucer ses vœux. » C’étaient là, n’est-ce pas, de fortes paroles, destinées exclusivement aux oreilles des clients de la Maison du Jade Bleu. Mais la rumeur s’en est répandue.

— Si je ne m’abuse, je rendrais service au Seigneur Cizante en acceptant ses libéralités ?

— C’est ce dont nous souhaitons nous assurer, répondit Helsse avec circonspection. Dordolio a formulé un certain nombre de propos outrageants à votre sujet. Il déclare que vous êtes un barbare superstitieux dont le dessein est de ressusciter le « culte ». Si vous exigiez que le Seigneur Cizante transforme son palais en temple et se convertisse au « culte », peut-être préférerait-il accepter les conditions de Dordolio.

— En dépit du fait que je suis arrivé le premier chez lui ?

— Dordolio prétend que vous avez usé de fourberie. Il est très monté contre vous. Cela étant dit, que pourriez-vous réclamer au Seigneur Cizante dans ces conditions ?

Reith réfléchit. Il ne pouvait, hélas ! s’offrir le luxe d’un fier refus.

— Je ne sais pas. J’aimerais avoir un avis désintéressé mais je ne vois pas à qui m’adresser.

— Pourquoi pas à moi ?

— J’aurais quelques doutes quant à votre impartialité.

— J’en ai peut-être plus que vous ne le croyez.

Reith scruta le visage blafard, les yeux noirs et indéchiffrables de son interlocuteur. Helsse était un étrange individu. Surtout en raison de son attitude impersonnelle où n’entrait ni cordialité ni froideur. Il était visiblement sincère mais aucune mimique involontaire ou inconsciente ne trahissait ses sentiments profonds.

Les musiciens s’étaient retirés. Un personnage quelque peu obèse, enveloppé dans une longue robe marron, monta sur l’estrade. Une femme à la longue chevelure brune prit place derrière lui, un luth à la main. L’homme exhala une sorte de hululement plaintif à demi articulé, mais les mots qu’il prononçait échappaient à Reith.

— Est-ce encore une mélodie traditionnelle ?

Helsse haussa les épaules.

— C’est une technique de chant un peu particulière. Qui n’est d’ailleurs pas absolument sans intérêt. Si tout le monde se donnait autant de peine, l’awaïle serait moins fréquent.

Reith tendit l’oreille.

— Que tous me jugent sans indulgence, marmottait le chanteur. J’ai commis un crime épouvantable et c’est la raison de mon désespoir.

— À vue de nez, fit le Terrien, discuter du problème consistant à savoir comment utiliser au mieux de mes intérêts le Seigneur Cizante avec l’aide de camp de celui-ci semble assez absurde.

— Attention ! Vos intérêts ne sont pas forcément contraires à ceux du Seigneur Cizante ! Le cas de Dordolio est différent.

— Le Seigneur Cizante ne s’est pas conduit avec beaucoup de courtoisie à mon égard, laissa tomber Reith d’une voix rêveuse. Je n’ai pas envie de lui rendre service. D’un autre côté, je ne tiens pas à faire de faveurs à Dordolio, qui me traite de barbare superstitieux.

— Il est possible que le Seigneur Cizante ait été bouleversé par la nouvelle que vous lui apportiez. Quant aux accusations de Dordolio, elles sont manifestement sans fondements et il n’y a pas lieu d’en faire cas.

Reith sourit.

— Cela fait plus de deux mois que nous avons fait connaissance, lui et moi. Pouvez-vous arguer, pour contester ses affirmations, que c’est vraiment bien peu ?

S’il avait espéré déconcerter son interlocuteur, Reith en fut pour ses frais. Helsse eut un sourire aimable :

— Je me trompe rarement dans mes appréciations.

— Supposons que je me mette à prétendre des choses délirantes : que Tschaï est plate, que les dogmes du « culte » sont exacts, que les hommes peuvent vivre sous l’eau… qu’en penseriez-vous ?

— Il s’agit chaque fois de cas d’espèce, répondit Helsse après avoir réfléchi quelques instants. Si vous souteniez que Tschaï est plate, je réviserais certainement mon opinion. Si vous défendiez des articles de foi du « culte », je suspendrais mon jugement et serais attentif à vos observations, car il s’agit là d’une question de point de vue et il n’existe aucune preuve, à ma connaissance tout au moins, ni dans un sens ni dans un autre. Si vous déclariez que les hommes peuvent vivre sous l’eau, j’inclinerais peut-être à accepter cette assertion en tant qu’hypothèse de travail. Après tout, les Pnume pratiquent la plongée sous-marine, de même que les Wankh. Pourquoi des hommes n’en feraient-ils pas autant avec des équipements spéciaux ?

— Tschaï n’est pas plate. Les hommes peuvent vivre sous l’eau pendant des périodes de temps limité grâce à des branchies artificielles. J’ignore tout du « culte » et de sa doctrine.

Helsse porta son verre à ses lèvres. Le chanteur s’était éclipsé et une troupe de danseurs monta sur la scène. Rien que des hommes à la poitrine nue, dont les bras comme les jambes étaient enveloppés d’étoffes noires. Reith les examina quelques instants avec intérêt puis détourna le regard.

— Ce sont des danses traditionnelles ayant trait à la Communion Pathétique, lui expliqua Helsse. Celle-ci est le mouvement précurseur des Officiants à l’adresse de l’Expiateur.

— Les « officiants » sont des tortionnaires ?

— Ce sont ceux qui rendent possible l’expiation absolue. Beaucoup d’entre eux font figure de héros populaires en raison de leur technique fervente. (Helsse se leva.) Venez. Vous avez implicitement manifesté au moins une vague curiosité à l’endroit du « culte ». Il se trouve que je connais le lieu de rendez-vous des fidèles. Ce n’est pas loin d’ici. Si cela vous intéresse, je suis prêt à vous y conduire.

— À condition que cette visite ne viole pas les lois de Cath.

— N’ayez crainte. Cath n’a pas de lois : elle n’a que des coutumes, ce qui semble fort bien convenir aux Yao.

— Comme c’est bizarre ! Le meurtre n’est pas interdit ?

— Il contrevient à la coutume – dans certains cas tout au moins. Néanmoins, les Assassins professionnels de la Guilde exercent leur office sans susciter la réprobation de l’opinion publique. En principe, les gens de Cath font ce qu’ils estiment séant de faire, quitte à subir plus ou moins d’opprobre. Aussi vous est-il loisible de rendre visite aux membres du « culte » en risquant, tout au plus, de vous faire injurier.

Reith se leva à son tour.

— Très bien. Montrez-moi le chemin.

Ils traversèrent l’Ovale et s’engagèrent dans une ruelle tortueuse débouchant sur une avenue obscure. Devant eux les silhouettes incongrues des maisons se découpaient sur le ciel où voguaient Az et Braz. Helsse frappa à une porte d’où émanait une pâle phosphorescence bleutée. Après quelques instants d’attente, l’huis s’entrebâilla et une tête précédée d’un nez démesuré se montra.

— Nous sommes des visiteurs, annonça Helsse. Pouvons-nous entrer ?

— Etes-vous affiliés ? Je dois vous informer que c’est ici le siège de district de la Société des Ardents Attentistes.

— Nous ne sommes pas affiliés. Mon compagnon est un étranger qui souhaite avoir des renseignements sur le « culte ».

— Vous êtes tous les deux les bienvenus puisque vous ne paraissez pas vous soucier « de place ».

— Absolument pas.

— En conséquence, ou vous êtes les plus sublimes des sublimes ou les plus ignobles des ignobles. Aussi pouvez-vous entrer. Nous avons peu de divertissements à vous offrir : nos convictions, quelques théories et un bien petit nombre de faits. (L’Attentiste écarta un rideau.) Entrez !

Helsse et Reith pénétrèrent dans une vaste pièce basse de plafond. Au fond, deux hommes et deux femmes, qui paraissaient perdus dans cette immensité, buvaient du thé dans des gobelets de fer.

L’Attentiste fit un geste mi-obséquieux, mi-railleur.

— Voici ! Les horreurs du « culte » sont devant vos yeux. Avez-vous déjà vu quelque chose de moins tapageur ?

— Ce n’est pas à cause de l’aspect de ses cénacles que le « culte » est rejeté mais en raison des axiomes provocateurs qu’il professe, fit Helsse sur un ton quelque peu sentencieux.

— Des axiomes ! protesta l’Attentiste d’une voix geignarde. Nous sommes persécutés. Cependant, nous sommes les élus qui avons la Connaissance.

— Qu’affirmez-vous au juste ? s’enquit Reith.

— Que les hommes ne sont pas originaires de Tschaï.

— Comment pouvez-vous le savoir ? s’insurgea Helsse. L’histoire humaine se perd dans les ténèbres.

— C’est une Vérité intuitive. Nous sommes également certains que, un jour, les Mages humains rappelleront leur descendance sur le Monde qui est leur berceau. Alors régnera la joie. Le Monde Natal est un monde généreux où l’air réjouit les poumons comme le vin d’Iphthal le plus doux ! Sur le Monde Natal se dressent des montagnes d’or couronnées d’opale. Et il est tapissé de forêts de rêve. La mort y est un accident insolite et non une fatalité. Les hommes s’y promènent dans la joie et la paix et partout il y a abondance de mets succulents !

— Charmante vision ! fit Helsse. Mais ne la trouvez-vous pas quelque peu conjecturale ? Ou, plus exactement, ne s’agit-il pas là d’un dogme institutionnel ?

— C’est possible, rétorqua l’Attentiste avec entêtement. Il n’empêche qu’un dogme n’est pas obligatoirement un mensonge. Il existe des vérités révélées. Et regardez ! Voici l’image révélée du « Monde Natal » !

En disant ces mots, il tendit le doigt vers une mappemonde d’un mètre de diamètre, suspendue à la voûte.

Reith s’approcha du globe, tordant le cou dans tous les sens pour essayer d’identifier le visage d’une mer, le contour d’un littoral. Ici, il y trouvait d’hallucinantes analogies et, plus loin, des disparités totales. Helsse s’approcha de lui.

— Qu’est-ce que cela vous évoque ? demanda-t-il sur un ton insouciant et dégagé.

— Rien de particulier.

L’autre exhala un léger soupir, où Reith crut déceler du soulagement et, peut-être, de la déception.

L’une des femmes mafflues se leva et se dirigea vers eux.

— Pourquoi n’adhéreriez-vous pas à notre Société ? fit-elle d’une voix enjôleuse. Nous avons besoin de figures nouvelles, de sang nouveau pour grossir l’immense et nouvelle marée. Pourquoi ne pas nous aider à entrer en contact avec le Monde Natal ?

— Existe-t-il pour cela une méthode pratique ? demanda Reith en riant.

— Mais bien sûr ! La télépathie ! En vérité, il n’y a pas d’autre solution.

— Et si vous utilisiez un astronef ?

La femme, apparemment stupéfaite, décocha au Terrien un regard aigu pour s’assurer qu’il parlait sérieusement.

— Où pourrions-nous en trouver un ?

— On ne peut pas en acheter ? Ne serait-ce qu’un petit ?

— Je n’ai jamais entendu parler d’une chose pareille.

— Moi non plus, laissa sèchement tomber Helsse.

— Et pour aller où ? reprit-elle sur un ton presque brutal. Le Monde Natal est situé dans la constellation de Clari. Mais l’espace est vaste. Nous errerions pour l’éternité.

— C’est un gros problème, convint Reith. Toutefois, en supposant que vos prémisses soient exactes…

— Comment cela ? s’exclama la grosse femme, manifestement scandalisée. Il ne s’agit ni de « suppositions » ni de « prémisses ». Parlez plutôt de « révélations ! ».

— Je veux bien, mais le mysticisme est sans valeur en tant que moyen de navigation spatiale. Admettons que, d’une façon ou d’une autre, vous puissiez : disposer d’un astronef. À ce moment, quoi de plus facile que de vérifier le bien-fondé de votre croyance ? Il vous suffirait de mettre le cap sur la constellation de Clari et de vous arrêter en des points déterminés pour vous mettre à l’écoute afin de capter d’éventuels messages radio. Si cette fameuse planète existe et si vous avez des instruments convenables, vous détecterez ces signaux.

— C’est une idée intéressante, fit Helsse. Votre postulat est que ce monde, s’il existe, est suffisamment avancé pour émettre de tels signaux ?

Reith haussa les épaules.

— Dans la mesure où l’on suppose son existence, pourquoi ne pas supposer également qu’il connaît la radio ?

Helsse ne trouva rien à répondre.

L’Attentiste reprit la parole :

— C’est ingénieux mais superficiel ! Par exemple, comment faire pour se procurer un astronef ?

— Avec les capitaux et les moyens techniques voulus, vous pourriez en construire un de petite taille.

— Pour commencer, les fonds nous font défaut.

— Ce n’est pas la difficulté la plus grave, me semble-t-il, murmura Helsse.

— Il y a une autre possibilité : acheter un petit bâtiment à un peuple qui pratique la navigation spatiale – les Dirdir, les Wankh, peut-être même les Chasch Bleus.

— C’est toujours une question de sequins, répliqua l’Attentiste. Combien peut coûter un astronef ?

Reith se tourna vers Helsse, qui pinça les lèvres.

— Un demi-million de sequins à condition de trouver un vendeur… ce dont je doute.

— Il y a une troisième possibilité, reprit Reith. C’est la plus directe : en confisquer un, purement et simplement.

— En confisquer un ? Mais à qui ? Pour être membres du « culte » nous ne sommes pas fous à ce point-là !

La grosse femme eut un reniflement de désapprobation.

— Cet homme est un incurable romantique !

— Ce serait avec joie que nous vous accueillerions dans notre Société, mais il vous faut découvrir une méthodologie orthodoxe, dit l’Attentiste d’une voix douce. Il y a des cours de contrôle de la pensée et de télépathie projective deux fois par semaine, ilsdi et azdi. Si vous voulez les suivre…

— Je crains que cela ne me soit pas possible. Mais votre programme est intéressant et je vous souhaite des résultats fructueux.

Helsse salua poliment et tous deux prirent congé.

Ils suivirent en silence la calme avenue.

— Et maintenant, quelle est votre opinion ? demanda Helsse à brûle-pourpoint.

— La situation est sans équivoque.

— Etes-vous donc convaincu de l’invraisemblance de leur doctrine ?

— Je ne vais pas si loin. Les savants ont indiscutablement décelé des liens biologiques entre les Pnume, les Phung, les molosses de la nuit et d’autres créatures indigènes. Les Chasch Bleus, les Chasch Verts et les Vieux Chasch sont également apparentés entre eux comme le sont toutes les races humaines. Cependant, les Pnume, les Wankh, les Chasch, les Dirdir et les hommes sont biologiquement distincts. Quelle déduction en tirez-vous ?

— Je reconnais que c’est une chose singulière. Pouvez-vous avancer une explication ?

— Je pense qu’il faudrait davantage de faits. Peut-être les Ardents Attentistes deviendront-ils télépathes et nous étonneront-ils tous.

Helsse ne répondit pas. Ils tournèrent au coin d’une rue. Reith obligea son compagnon à s’arrêter.

— Silence !

Ils attendirent. Ils perçurent un bruit de pas précipités et une silhouette noire apparut à son tour à l’angle de la rue. Reith se jeta sur l’inconnu, le fit pivoter et, d’une clé au bras doublée d’une prise au cou, l’immobilisa.

— Donnez de la lumière que nous sachions à qui – ou à quoi – nous avons affaire, ordonna le Terrien.

Helsse sortit de ses poches un globe lumineux qu’il tendit à bout de bras. Le prisonnier se débattait, lançait des coups de pied, se tortillait. Reith serra davantage sa prise. Il y eut un craquement d’os et le captif, en s’affaissant, déséquilibra Reith. De sa bouche invisible jaillit un sifflement de triomphe quand, d’un coup sec, il se libéra. Mais un éclair de métal étincela. Il exhala un gémissement de souffrance.

Helsse, levant sa lampe, arracha sa dague enfoncée dans le dos de l’inconnu dont le corps se tordait spasmodiquement. Reith eut une grimace de mécontentement.

— Vous n’y allez pas de main morte avec votre lame !

L’aide de camp haussa les épaules :

— Ces êtres-là portent des dards sur eux.

Il retourna le cadavre du bout du pied. Il y eut un tintement presque imperceptible quand une aiguille de verre tomba sur le pavé. Tous deux examinèrent avec curiosité le visage blafard qui disparaissait à demi sous un capuchon noir d’une ampleur extravagante.

— Il s’encapuchonne comme un Pnumekin et il est pâle comme un fantôme, dit Helsse.

— Ou un Homme-Wankh.

— Pourtant, quelque chose le distingue des Pnumekin aussi bien que des Hommes-Wankh. Mais quoi ? Je serais bien en peine de le dire. Peut-être est-ce un hybride, un métis. Et les métis font les meilleurs espions.

Reith décoiffa le mort, découvrant un crâne nu comme un caillou. L’ossature de la tête était fine et sa musculature avait quelque chose de flasque. Le nez, mince et souple, s’achevait par une protubérance. Les yeux entrouverts paraissaient noirs. Reith se pencha davantage. Le crâne de la victime avait sûrement été rasé.

Helsse scrutait la rue d’un air inquiet.

— Venez ! Dépêchons-nous avant que la patrouille ne nous trouve et n’ouvre une enquête.

— Pas si vite, dit Reith. Il n’y a personne à proximité. Éloignez-vous avec votre lumière et regardez bien partout où vous le pouvez dans la rue.

Helsse obéit à contrecœur et Reith, qui ne faisait confiance à personne, fut ainsi en mesure de le surveiller à la dérobée pendant qu’il fouillait le mort. Les vêtements de celui-ci dégageaient une bizarre odeur musquée et, pendant l’opération, le Terrien fut plusieurs fois pris de nausées. Il s’empara d’une liasse de papiers glissée dans une poche intérieure de la cape. Une bourse de cuir souple était fixée à la ceinture de l’inconnu. Il la détacha.

— Venez ! le pressa de nouveau Helsse. Il ne faut pas qu’on nous découvre sous peine de perdre notre « place ».

Ils reprirent le chemin de l’Hostellerie et s’arrêtèrent sous les arcades avant d’entrer dans l’établissement.

— Ce fut une intéressante soirée, dit Reith. J’ai beaucoup appris.

— J’aimerais pouvoir en dire autant, fit l’autre. Qu’avez-vous trouvé sur le corps ?

Reith lui fit voir la bourse, qui contenait une poignée de sequins, et les papiers. Ils les examinèrent à la lumière qui filtrait de la fenêtre de l’auberge. Les feuillets portaient des lignes de caractères ressemblant à des rectangles plus ou moins déformés, plus ou moins grands.

Helsse dévisagea Reith.

— Reconnaissez-vous cette écriture ?

— Non.

L’aide de camp eut un petit rire bref et sec.

— C’est du wankh.

— Hemm… Et que doit-on en conclure ?

— Cela ne fait qu’épaissir le mystère. Settra est un nid d’intrigues. Il y a des espions partout.

— Et des appareils de mouchardage ? Des micros ? Des cellules photo-électriques ?

— On peut le supposer sans grand risque.

— En ce cas, nous pouvons également supposer que le siège des Ardents Attentistes était truffé de dispositifs d’écoute. J’ai peut-être eu la langue trop longue.

— Si l’homme que j’ai tué était l’opérateur, il ne parlera plus. Mais laissez-moi ses notes. Je les ferai traduire. Il y a une colonie de Lokhars pas bien loin et ils ont des notions de wankh.

— Nous irons ensemble. Demain, si cela vous convient ?

— Parfait, répondit Helsse sur un ton morose. (Il regarda de l’autre côté de l’Ovale.) Que dois-je dire au Seigneur Cizante en ce qui concerne la récompense ?

— Je ne sais pas. J’aurai une réponse demain.

— Peut-être n’y aura-t-il pas à attendre jusque-là pour que la situation s’éclaircisse. Voici Dordolio.

Reith se retourna vivement. Dordolio, accompagné de deux cavaliers à l’allure chafouine, se dirigeait vers lui à grands pas. Il était visiblement en fureur.

Il s’arrêta à moins d’un mètre du Terrien et, le menton en avant, lâcha de but en blanc :

— Avec vos manigances scélérates, vous m’avez ruiné ! N’avez-vous donc pas honte ?

Il arracha son chapeau et le lança à la tête de Reith. Celui-ci fit un pas de côté et le couvre-chef poursuivit son vol.

Dordolio agita alors la main devant le Terrien, qui recula.

— Vous mourrez, soyez sans crainte ! tonitrua-t-il. Mais sans avoir l’honneur de mon épée ! Ce seront des assassins de basse caste qui vous noieront dans le purin ! Vingt parias étrilleront votre cadavre ! Un roquet promènera votre tête dans les rues en la tirant par la langue !

Reith parvint à sourire laborieusement.

— Je prierai Cizante de vous rendre la pareille. C’est une récompense qui en vaut bien une autre.

— Cizante ! Ban ! Ce parvenu corrompu ! Cet inverti grognon ! Du Jade Bleu, il ne restera rien : le « rond » atteindra son apogée avec la chute de cette maison !

Helsse s’avança :

— Avant que vous ne développiez plus avant ces intéressantes observations, je tiens à vous informer que je représente la Maison du Jade Bleu et que je serai contraint de rapporter la teneur de vos propos à Son Excellence le Seigneur Cizante.

— Ne me fatiguez pas avec ces broutilles ! hurla Dordolio. (Et, adressant à Reith un geste courroucé, il ajouta :) Allez me chercher mon chapeau. Sinon, vous pouvez vous attendre à recevoir dès demain la première des Douze Touches !

— Ce n’est pas trop demander, si cette concession me garantit votre départ, fit Reith. (Il ramassa le chapeau, le secoua une ou deux fois et le présenta à son propriétaire.) Voilà ce chapeau que vous avez lancé sur l’esplanade.

Il contourna Dordolio et entra dans l’Hostellerie.

Le Yao émit un rire croassant et assourdi ; il tapa son chapeau sur sa cuisse et s’éloigna en ordonnant d’un geste à ses deux compagnons de le suivre.

Une fois dans l’auberge, Reith demanda à Helsse :

— Qu’est-ce que c’est que ces « Douze Touches » ?

— Eh bien, un Assassin pique douze fois la victime désignée avec un aiguillon. Tous les jours ou tous les deux jours. La douzième touche est fatale : l’homme meurt. À cause de l’accumulation du poison, de l’ultime dose qui seule est létale ou par suggestion morbide ? Seule, la Guilde des Assassins le sait. À présent, il me faut rentrer au Palais du Jade Bleu. Mon compte rendu intéressera le Seigneur Cizante.

— Qu’avez-vous l’intention de lui dire ?

La question fit s’esclaffer l’aide de camp.

— C’est vous qui me demandez cela ? Vous qui êtes l’être le plus cachottier qui soit ! Eh bien, apprenez que je ferai savoir à Cizante que vous êtes d’accord pour accepter la récompense, que vous allez sans doute bientôt quitter Cath…

— Je n’ai rien dit de tel !

— C’est pourtant ce qu’il y aura, entre autres, dans mon rapport.

Le Wankh
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